La petite chaise rouge
Il est des matins où Madame V. se réveille un peu plus tôt que d'habitude. Des minutes chapardées au chaos de la journée, quand il est encore temps de savourer la tiédeur de la couette en regardant le vent faire danser les ombres sur le rideau tiré.
Ces minutes là sont bien plus longues. Derrière ses paupières refermées, elle dresse la liste de ce qui les attend aujourd'hui, de ce qu'elle va devoir faire absolument, et de ce qu'elle pourra oublier et remettre à plus tard. Ce qu'elle aime dans ses dimanches c'est n'y retenir que le superflu et le laisser s'étirer comme un pont du mois de mai.
Et ce dimanche là est un peu spécial, il a un superflu très essentiel en réserve pour la famille V. Une chaise rouge de petit garçon est arrivée hier et attend d'être assemblée pour être présentée à un grand bébé qui ne sait pas encore bien où s'asseoir dans cette maison.
Madame V. est impatiente et se dit qu'elle devrait déjà avoir pris sa douche, en profitant du sommeil prolongé de monsieur Timothée, mais elle n'arrive pas à s'extraire de la douceur de ses plumes. Tant pis, après ce sera la course.
Monsieur V. passe la tête par la porte de la chambre et lui dit qu'il va sûrement neiger, les nuages noirs arrivent. Madame V. fronce le nez et hésite. Elle sait qu'il n'aime rien tant que la faire sauter hors du lit en annonçant la neige, quand il ne fait même pas assez froid pour ça. Mais Monsieur V. persiste et ouvre le rideau sur un ciel qui vire au sombre. D'un bond elle est à la fenêtre et confirme, oui c'est certain, ce sera aujourd'hui.
Vite, il n'est plus temps de paresser, Madame V. se précipite dans la salle de bain et laisse Monsieur V. s'occuper d'un enfant qui a senti l'effervescence et appelle pour participer.
Comme une répétition, une semaine exactement avant Noël, les premiers flocons ont commencé à se déposer délicatement sur les roses hivernales, ourlant d'hermine leurs pétales resserrés. Il n'est pas encore dix heures et elle regarde ses hommes qui s'affairent avec leurs tournevis pendant que la suite pour violoncelle n°2 résonne dans le calme concentré des petits travaux domestiques.
Il sera bien temps après d'improviser le déjeuner, d'oublier le pain dans le congélateur, de mettre de la pommade sur une méchante bosse, de réfléchir à une idée de sortie malgré le froid, de penser, planifier, organiser.
Pour l'instant Bach résonne et un petit monsieur très fier vient de s'asseoir sur la chaise rouge en faisant bravo avec les mains et c'est ça qui compte.
6 commentaires:
Merci pour ce petit billet du soir, Madame V.
bonjour !
je suis arrivee ici par le biais de chroniques de floride. je me suis regalee en te lisant, ton blog est tres agreable. Chez nous aussi, Monsieur bebe a une chaise rouge, peut etre pour bien montrer que c'est SA place ! A bientot
Flo, t'es trop forte ;)
Bravo a toi, Marie. J'ai bien cru que c'etait dimanche en te lisant ce matin..
Non, sans rire, ce pastiche est tres reussi. Tu as beaucoup de talent.
c'est parfait !
trop top ton pastiche...
on s'y croirait
merci danslacuisine, c'est très amusant à faire (et ça fait des vacances d'emprunter la voix de quelqu'un d'autre), tu devrais essayer.
Enregistrer un commentaire