mardi, décembre 8

Gault et Millau


Hier, le temps d'une soirée, j'ai repris contact avec la vie d'une citadine, invitée que j'étais dans un resto réputé par un Justin décidé à mettre le paquet pour fêter mes vingt-cinq ans et quelques.

A mes yeux, l'une des plus grosses différences culturelles entre eux et nous concerne la nourriture.
Prenez hier soir.

Ça partait pourtant pas mal : quatre personnes nous avaient informés de leurs prénoms et souhaité une bonne soirée dans les cinq minutes qui avaient suivi notre arrivée, la maison nous avait fait goûter le vin qu'on avait commandé, pour être sûrs de notre choix et le sommelier s'était déplacé jusqu'à notre table pour nous aider à trouver quelque chose qui corresponde à notre description et dont le tarif soit à 2 chiffres.
Le genre d'endroit où on se sent pris en main, avec une armée de latinos prêts à bondir de derrière les pots de fleurs, carafes d'eau en main, pour remplacer illico toute gorgée avalée.

Justin se serait bien laissé tenter par des fruits de mer en entrée mais, manque de bol, y'en avait plus. Déjà ça partait bof bof mais l'homme n'a pas froid aux yeux et commande du foie gras.
Les deux petits médaillons arrivent, perdus dans une immense assiette blanche décorée de petits cercles marrons ressemblant à la trace laissée par un verre d'apéro sur une table basse, on aurait presque eu envie de leur demander de nous donner une assiette propre, mais on sait se tenir alors on a juste rigolé.

Justin se lance et va pour attraper un bout de pain dans la panière, mais son choix est rendu difficile par une profusion de resto qui veut vous en donner pour votre argent : trois ou quatre sortes de pains très briochés, sucrés, dégoulinants de beurre et/ou avec arômes déconcertants. Du coup, c'est un peu comme manger du foie gras sur un pain au chocolat à la cannelle.
Justin appelle notre serveur pour lui demander du pain normal, de la farine, de l'eau et un peu de sel quoi. Regard fuyant mais ton assuré "Bien sûr bien sûr, pas de problème", mais on pouvait lire la bulle au-dessus de sa tête, avec une jolie collection de points d'interrogation "??? C'est quoi du pain normal, qu'est-ce qu'il a qui va pas mon pain d'abord ?"

Revient le sommelier, ou plutôt le spécialiste des cas difficiles, improvisé Grand Boulanger et qui écoute Justin lui expliquer que son foie gras ne peut pas être dégusté sur ce pain là et que trop de saveurs tue la saveur un peu.
Aïe, c'est à ce moment qu'on a perdu le faux sommelier-boulanger, son cerveau ayant disjoncté à l'idée que trop de cannelle puisse nuire à quoi que ce soit. Mais, comme c'est un professionnel et qu'il ne sera pas dit qu'il ait pu laisser des clients repartir avec leurs exigences insatisfaites en bandoulière, il est allé nous chercher des crackers, de 3 sortes différentes s'il vous plaît, fromage, sucre et autres bizarroïdités.

Ensuite est arrivé le plat.
La description sur le menu était sibylline et j'avais seulement compris que c'était du faisan. Je m'attendais donc à un os, avec de la viande autour, et une sauce, très certainement sucrée parce qu'il ne faudrait pas que le client tombe en hypoglycémie entre l'entrée et le dessert.

Deux serveurs arrivent en grande pompe et déposent deux assiettes qui paraissent d'autant plus vides qu'elles ont la circonférence de ma roue de secours, se regardent et se penchent, complètement synchro, en agitant une petite cuillère dans une toute petite saucière en inox, ça fait "gling gling gling" et, si on me demande mon avis, je dirais que c'est plus que démonstratif et qu'on n'est pas chez Mickey.
Après avoir répandu un millilitre de sauce rouge, ils nous ont laissés devant ce qui s'est avéré être trois tronçons de saucisse enveloppés de bacon, secs comme un coup de trique et pas très goûtus, soyons honnête.
Justin, qui sait positiver, lui, a réussi à trouver un peu de saveur au petit cube de patate mal cuite et champignons intercalés servant d'accompagnement.

Le restaurant s'enorgueillissant de son chef pâtissier, j'ai relevé le défit du dessert en commandant une sorte de tarte au citron, au vu de la description qui en est faite.
Le chef a réussi un exploit absolu devant lequel il faut s'incliner : réaliser une pâte qui ne soit ni brisée, ni sablée, ni feuilletée, bien que sa tendance à s'effriter entre les dents de la fourchette puisse semer le doute.
Et la garniture de la pâte ? Un onctueux lemon curd comme savent si bien faire les anglo-saxons ? Que nenni, un flan citronné de sept centimètres d'épaisseur, genre recette expresse Alsa, côtoyant une boule de glace au goût franchement répugnant – même l'indulgence de Justin n'a pas pu y revenir, c'est dire.

Je pense que ceux et celles qui s'apprêtent à sortir dîner à Washington vont s'inquiéter maintenant, et à juste titre. Je tiens le nom de ce bijou de la gastronomie locale à la disposition des intéressés.

Mais quand même merci à un Justin plein de bonne volonté mais qui ne pouvait pas savoir. La prochaine fois je sens le Pizza Hut me pendre au nez, et je l'aurai bien cherché.




9 commentaires:

Yibus a dit…

Qu'est-ce que c'est ? Dis vite.... (qu'on évite).

Nine a dit…

Désolée pour ce repas d'anniversaire loupé mais merci pour cette franche marrade gastronomique.
J'apprécie encore plus d'avoir un boulanger français (à qui on demande tous les jours s'il met du lait, des œufs et/ou du sucre dans son pain, ça l'énerve pas du tout) dans mon trou paumé du Wisconsin!

Ga a dit…

Et dire que je me plaignais des restos tchèques. Promis, je me la boucle, et te souhaite un très bon anniversaire (en retard, désolée) et des tonnes de vrai foie gras, avec du vrai pain pour l'année à venir.

Anonyme a dit…

Je suis très très loin de connaître l'Amérique comme Justin (et c'est peu dire !) mais si j'avais dû t'inviter à dîner pour ton anniversaire, j'aurais programmé les choses un peu différemment. Pour le foie gras, je t'aurais emmenée le déguster à la Maison Blanche en m'assurant d'abord qu'Al Gore et ses copains étaient en tournée à l'autre bout du monde. Pour les fruits de mer, on aurait fait un petit saut à San Francisco qui est nettement plus près de la mer que Washington. Pour le faisan, je ne vois rien de mieux que la cantine de Wall Street où ils pullulent allègrement. Enfin, pour la tarte au citron, je t'aurais vivement suggéré de la faire toi-même (j'en garde un souvenir ému) afin que nous la dégustions ensemble au retour d'une soirée aussi festive que kilométrique. Mais comme tout ça peut sembler un peu compliqué, voire onéreux à organiser, je suis d'accord avec toi : une bonne Pizza Hut agrémentée de ces bougies exaspérantes qui ne s'éteignent que pour se rallumer aussi sec, y'a rien de mieux.
martine 53

Smirnoffette a dit…

Mais qui est donc ce resto incapable de fournir avec du foie gras du pain digne de ce nom ... les hérétiques !!
Merci en tout cas pour ce compte-rendu qui m'a beaucoup fait rire et bon anniversaire !

Carine a dit…

Rrrhhhaaaaa cela faisait bien trop longtemps que je n'étais pas venue trainer mes guêtres par ici : on rigole toujours autant chez toi !
Même si euh.... vous avez du rire jaune ! ^^
Happy B à toi !

Anonyme a dit…

bon anniversaire et félicitations pour votre Merveille !
bises
Sophie

Yibus a dit…

pfouh, j'suis dégouté, t'as même pas donné le nom du restau !

Marie a dit…

Oups, désolée Yibus. Alors, si tu es en train de t'organiser pour le réveillon, je te conseillerais d'éviter Vi...ia, dans DC même.
Sinon, merci à tous pour vos voeux, mes vieux os en sont tout retournés et mes rhumatismes dansent la salsa.