samedi, mars 28

J'te cause plus #4


Au risque de vexer atrocement certains de mes lecteurs, la dernière peuplade de square à laquelle je vais m'intéresser n'est pas celle des pères de famille impliqués dans l'élevage de leurs petits. Je ne dis pas que ça n'existe pas, j'en vois même quelques-uns par chez moi, enfin deux pour être honnête, mais c'est justement cet échantillon trop peu représentatif qui m'interdit toute description. Vous ne voudriez pas que je tombe dans le cliché, après autant d'objectivité et de descriptions criantes de vérité, non tout mais pas ça.

Donc aujourd'hui, c'est au tour des nounous, qui sont quand même celles que je croise le plus souvent.
C'est bien simple, dès que la température dépasse les 15°C, elles lancent leur grande opération de privatisation des lieux avec l'annexion des trois bancs disponibles, grâce à une technique bien rôdée d'activation des renforts par téléphone, suivie par le placement des poussettes autour desdits bancs.
Ce qui tout de suite m'amène à évoquer un aspect de leur présence qui me hérisse le poil : l'encombrement de ces fameuses poussettes posées en vrac entre les jeux, alors qu'une pelouse bien tondue leur tend les bras, de l'autre côté du rebord en bois qui marque la frontière.
Le playground n'est pas grand, alors imaginez ce que ça donne avec cinq ou six poussettes simples et trois doubles en plein passage. Sans compter que certains enfants, fiston en tête je l'avoue, sont attirés comme des aimants par les paquets de lingettes qui dépassent, les gâteaux et les jouets entreposés bien en vue dans les paniers.
S'ensuivent alors des moments pénibles puisqu'il faut aller le repêcher la tête enfouie dans les sacs à goûter, faire un sourire poli à la nounou qui n'apprécie pas toujours ce tripatouillage, et recommencer puisque, entre temps, fiston se sera précipité vers une autre poussette.
Là où mes nerfs commencent à se mettre en boule, c'est quand la nounou, gentille mais pas très à l'écoute des signes subliminaux que je lui envoie à l'aide de ma tête qui fait 'non' en bougeant énergiquement de gauche à droite, tend une poignée de gâteaux apéro à fiston trop content, et que je dois intervenir pour lui redonner ses machins en précisant qu'à 11h30 ça ne va pas m'aider à le motiver pour déjeuner. Devant la colère de l'enfant injustement spolié de son droit à se goinfrer de merdouilles quand bon lui semble, elle lui refile un bonbec. Là, il n'y a plus qu'à traîner un enfant hurleur jusqu'à la maison.

Vous vous interrogez, "mais pourquoi cet acharnement à gêner avec leur poussette ?" Mais parce que les enfants dont elles s'occupent passent un sacré bout de temps assis dedans pardi. Je rappelle qu'aux beaux jours elles arrivent en rangs serrés dès 10h, jusqu'à 12h30, puis reviennent de 16h à 18h, minimum.
Vous pensez que les enfants gambadent et s'amusent joyeusement pendant plus de 4 heures, qu'elles leur organisent des courses, des matchs de frisbees, qu'elles font la farandole, qu'elles les poussent dans la balançoire jusqu'à plus soif ? Mais vous croyez avoir embauché Mary Poppins pour 15 dollars de l'heure ou quoi ?
Entre les mouflets qui restent collés dans les jupes et empêchent de prendre le soleil tranquille, ceux qui commencent à vouloir s'échapper vers le grand bac à sable en contrebas et qu'il faudrait suivre – et donc quitter les pinecos et s'éloigner du banc – ceux qui râlent tellement fort qu'on n'arrive plus à suivre sa conversation téléphonique et qu'une mise à l'écart assis dos aux autre enfants calmera bien mieux que de grands discours, ceux qui sont scrupuleusement gavés toutes les heures, ce ne sont pas les raisons qui manquent de finir harnaché dans sa Ferraren.

Bien sûr qu'il y a des nounous qui proposent des activités, qui s'impliquent un peu, qui n'ont pas l'air de mourir d'ennui en permanence, mais celles-là je les vois moins souvent, elles passent le temps de jouer une petite heure et repartent vers d'autres choses à faire. Flippez pas, je suis sûre que c'est celle-là la vôtre.

Fut un temps où les nounous de mon parc me faisaient bon accueil.
Quelques-unes étant francophones, je n'étais pas qu'un œil de Moscou en puissance, prête à aller répéter à leurs employeurs les râleries sur leurs congés payés un peu chiches, j'étais surtout l'occasion de discuter un peu. Fiston était accueilli avec de grands gestes, il se marrait, elles aussi, c'était sympa.
Comme vous êtes fines mouches, vous notez l'emploi du passé.
Ben oui, à l'automne dernier, déprimée de ne trouver personne pour me remplacer quelques heures par semaine, j'ai eu l'idée à ne pas avoir, j'ai commis l'erreur fatale, je me suis dit "mais au fait, puisque je m'entends bien avec elles, je pourrais leur demander si une de leurs copines ne chercherait pas des heures". Aussitôt pensé, aussitôt fait.
Et c'est comme ça que j'ai trouvé Perfect nannie, belle-sœur de la nounou avec qui je m'entendais le mieux.
Et c'est comme ça que j'ai fini par virer quelqu'un en moins de deux secondes pour la première fois de ma vie.
Et c'est comme ça que ces nounous se sont mises à m'ignorer du jour au lendemain, à ne plus répondre à mes "bonjour".
Elles me causent plus. Elles me font même grave la tronche. Ambiance.

Heureusement que les nounous d'origine africaine ne peuvent pas encadrer celles d'Amérique latine, et réciproquement. Le syndicat des nounous latinas s'est tout de suite désolidarisé et elles continuent à me sourire, les Asiatiques et les Russes aussi. Les discussions sont limitées mais je me sens quand même moins seule.
Sans elles c'était la fin des haricots, je n'avais plus qu'à changer de parc.

vendredi, mars 20

J'te cause plus #3

Et oui, presque trois semaines n'étaient pas de trop pour arriver à reprendre le cours de ma saga hivernale sur les spécimens du playground.
N'allez pas croire que je me la suis coulée douce en regardant les jours filer. La fatigue est venu s'incruster sans date de départ et a rendu la perspective d'écrire un texte aussi riante qu'une course d'endurance sous la pluie.

Puis est arrivée la gastro. Vous ne le savez peut-être pas, moi j'étais truffée d'illusions la concernant, mais la gastro est à déflagrations multiples : même deux jours après les dernières manifestations, tout peut repartir de plus belle, de préférence quand on est seule avec fiston pour la nuit et qu'on aurait bien fait un truc de dingue pour fêter ça, genre se coucher à 9 heures et pioncer d'une traite jusqu'au lendemain.

Depuis je fais ce que je peux, je me drogue avec assiduité, un cacheton quotidien et les forces reviennent, le printemps aussi et tout le monde est content.
Seulement, ce n'est pas pour autant que je peux me jeter sur mon ordi afin de rattraper un retard que je n'ose même plus regarder dans le blanc de la page, ben non, c'est le printemps je vous dis, donc il faut d'abord régler son compte au pollen qui recommence à nous ensevelir, ranger tout ce qui ne l'a pas été depuis la Chandeleur, sans oublier tout ce qu'il vaut mieux passer sous silence.

J'en étais donc aux Perfect Mums, que je vais réduire à PM car n'abusons pas des forces de la convalescente, vous êtes trop bons, merci.
Déjà, la PM n'aurais jamais, mais alors même pas dans ses pires cauchemars, mis son blog en veille pendant trois semaines, car la PM se tient à des standards de qualité qui visiblement me passent bien au-dessus de la raie des cheveux. La PM, même après ingestion accidentelle de mort aux rats, fait les cookies à l'avoine bio qu'elle s'était engagée à apporter pour l'anniversaire du fils d'une de ses copines car la PM n'a qu'une parole, elle.

Vous peut-être pas, mais la PM a des copines de gym, PM elles aussi, qui se retrouvent à six heures du mat' pour transpirer en rythme, avant le lever des petits chéris parce qu'il ne faudrait pas amputer le temps précieux qui leur est imparti en journée. Et, comme la PM est aussi une épouse exemplaire, elle ne s'attend pas à trouver le café fumant et les muffins confiturés sur la table quand elle rentre de ses séances de torture, non, c'est elle qui prépare le ptit-dej et les lunch bags de sa famille, en rentrant. Et puis pour les muffins, heu, j'ai oublié de dire que la PM est très mince, qu'elle se pèse au moins tous les jours et qu'elle est un peu obsédée par son indice de masse corporelle, le tout sans en avoir l'air parce qu'elle veut que sa fille aime son corps tel qu'il est.

L'idée c'est que la PM est partout : à l'école des plus grands où elle assiste l'instit quelques heures par semaines et se porte toujours volontaire pour encadrer les sorties, assise au premier rang quand il y a une lecture à la bibli pour les moins de deux ans, aux entraînements de baseball et aux cours de danse, au supermarché bio où elle explique la photosynthèse à sa grande fille pendant qu'elle fait découvrir le goût de l'ananas au cadet. Elle a un avis sur toutes les expos parce qu'elle est une mère mais n'en a pas moins un cerveau. Elle est au courant de toutes les activités sympas et gratuites du coin et vous les récite, par zones géographiques, tranches horaires ou classes d'âges.
Elle a un énorme agenda truffé de contacts téléphoniques et de listes de choses à faire, acheter, penser, organiser, ranger, téléphoner, déposer, et on comprend vite que c'est une femme très occupée.
Elle cuisine avec ses enfants, elle joue, elle leur lit des volumes encyclopédiques chaque soir au coucher, elle chante, elle danse, fait pousser des tomates, se déguise, invite les amis de ses enfants pour dormir sous la tente dans le jardin, organise des fêtes d'anniversaire originales que tout le monde copie, elle sait dénouer les problèmes mathématiques et faire des nattes indiennes.

Au playground, on la reconnaît facilement parce que c'est celle qui installe une grande couverture de pique nique pour ses enfants et ceux de sa copine sur la pelouse en contrebas. Elles ont tout prévu, des verres rigolos en plastique, différentes boissons fraîches, des tas de cookies faits maison, des fruits, des jeux à la pelle et une surveillance discrète mais efficace. A côté, avec notre ballon à moitié dégonflé et la bouteille d'eau écrasée, on a un air un peu pouilleux et, pour un peu, fiston lancerait une procédure d'adoption.
La PM a toujours un mot d'encouragement prêt à fuser, même quand c'est pour fiston qui s'est faufilé pour essayer de lui piquer un frisbee.
Tout est sous contrôle.

Ce que la Perfect Mum adore par-dessus tout, c'est que vous la regardiez avec admiration et que vous lui disiez qu'à sa place vous ne vous en sortiriez pas. A ce moment là, elle rit fort et fait semblant d'avouer qu'elle est comme vous, débordée et inefficace, juste pour le plaisir de vous entendre vous exclamer tout le contraire.

Vanitas vanitatum perfectmum et omnia vanitas.