Je peux dater avec exactitude le moment où mon appareil photo a cessé d'être l'incarnation de la perfection technique à mes yeux, pour commencer à me gratouiller les nerfs dans le mauvais sens du poil.
Nous étions sur un bateau, en vacances chez des amis aux Seychelles, et le cul bien bordé de nouilles si vous voulez mon avis.
Aparté : si vous ne résidez pas à proximité d'une mer un peu chaude, d'une montagne un peu jolie, d'un village un peu médiéval ou d'une campagne un peu attrayante, pas la peine de poser candidature, vous ne serez pas mon ami, ou alors je ne viendrai jamais vous voir.
J'arrête tout de suite ceux qui s'apprêtent à me laisser des messages sur le thème… alors comme ça je ne suis pas assez bien pour toi, parce que Madame pense qu'on crève tous d'envie de le voir son Maryland ? tu sais ce qu'elle te dit ma ville moche de 58 329 habitants ?
Déménagez ou taisez-vous, merci.
Le ciel était limpide, la mer transparente et l'alternance de bancs de sable et de corail nous offrait toutes les teintes de bleus et de vert imaginables. En somme c'était beau. Je me suis alors dit que ça valait bien la 359ème photo du jour, et j'ai collé mon œil à l'oeilleton.
Le paysage est apparu, mais avec un petit quelque chose en plus, le genre de détail qui énerve et qui flingue tout, une horrible tache de poussière en haut à droite, bientôt rejointe par une plus petite, en plein milieu parce que c'est plus pratique pour gâcher tous les clichés.
Je suis restée calme, descendue dans ma cabine pour nettoyer tout ce petit monde, boîtier et objectif, soyons fou. Les taches continuaient à me narguer et il me semblait même en voir une troisième.
Je restai zen, no panic, genre photographe de guerre qui en a vu d'autres et qui ne s'en laisse pas compter, re-nettoyage de printemps, re-tache.
Là, j'ai eu une pensée jalouse envers les photographes de Roland Garros qui déposent leurs appareils au stand et vont boire un café avant de récupérer leur matos aspiré du sol au plafond.
Après un cinquième nettoyage, et une aggravation de la situation, je me suis dit qu'il était temps d'arrêter et que ce devait être l'humidité, malgré les nombreux sachets absorbants qui tapissaient mon sac. Pour être honnête, je me le suis dit après ce cinquième nettoyage, mais aussi après avoir envisagé la soulageante possibilité de prendre le boîtier et de le fracasser contre le mur, quitte à faire un trou dans la coque.
J'ai passé le reste des vacances à pourrir des photos, et à râler parce que des fois, on a beau savoir qu'il y a toujours Photoshop pour se récupérer derrière, c'est quand même déprimant.
Si je vous dis que les Seychelles c'était en février 2006, vous comprendrez – parce que je vous idéalise complètement et que je vous imagine fort en calcul mental – que jusqu'à hier matin ça fait un nombre hallucinant de photos pourries par des taches en tous genres, le phénomène ayant eu plutôt tendance à s'aggraver avec le temps et les changements d'objectifs. Allez, je dirais au bas mot 3 ou 4 milliers de clichés.
Et, si j'ai bien le logiciel, et même un livre pour me dire comment m'en servir, Photoshop ne m'a pas encore été présenté en bonnes et dues formes, alors mes nerfs ont peu à peu lâché.
Donc, un matin d'énervement plus explosif, j'ai remis la bête les boyaux à l'air, j'ai trituré, dépoussiéré comme une maniaque, soufflé, humecté, astiqué, fait briller… pour retrouver mes jolies taches.
Allez hop, j'ai tout rangé, juré de ne plus jamais faire une photo dans ces conditions, déprimé… pour à nouveau embarquer mon tortionnaire en vadrouille.
Mes mots avaient dû être trop violents pour lui et mon désaveu sincère, il ne pouvait plus continuer dans ces conditions de récriminations incessantes et mon D70S s'est fait hara-kiri, miroir bloqué, message d'erreur, barré en congés sans solde et sans préavis.
J'ai fulminé, re-trituré les entrailles sans vie, en vain. En pleine parade de Thanksgiving, sommet de l'agitation culturelle de par chez moi, je me suis retrouvée seule, avec deux objectifs à présent orphelins sur les bras et un chagrin de matin de Noël, quand non seulement on n'a pas les bonnes piles pour faire fonctionner le jeu qu'on a reçu, mais qu'en plus c'est pas celui qu'on attendait.
Après une étude de marché poussée, réalisée grâce aux prospectus publicitaires, je me suis vite rendue compte qu'une réparation coûterait sans doute moins cher qu'un boîtier neuf. Direction E Street en ce matin de Black Friday, le jour de toutes les folies dépensières.
Verdict : boîtier réparable, c'est heureux.
Juste comme ça, un peu poussée par Justin, je lui parle de mes taches.
Il me demande si j'ai bien nettoyé le chip.
Ben oui, merci, ça va, je sais qu'il faut nettoyer mon appareil, je suis pas débile non plus.
Il me fait une petite démonstration, avec un genre de coton-tige géant, visiblement prévu pour ça.
En observant la tête carré de son engin, et en l'entendant dire que la forme est différente selon les appareils, je me dis qu'il serait bon de reposer une question, pour être sûre.
Mais, quand vous dites le chip, vous voulez dire le miroir ?
Ah non, le miroir on n'y touche pas. Non, c'est le chip qu'il faut nettoyer.
…
Vous savez où il est, le chip ?
… Montrez pour voir.
La lumière s'est faite mes amis. Je suis une photographe libérée, je sais où est mon chip, adieu taches et crises de nerfs (là c'est Justin qui est content).
Il se trouve que j'ai possiblement pété mon boîtier à trop y triturer, mais c'était pour l'édification de la nulle qui est en moi, celle qui veut faire de belles photos sans jamais avoir pris un cours de sa vie. No comment.