Cette semaine j’ai assisté à un événement comme on n’en voit pas par chez moi, une graduation – cérémonie qui marque la fin des études - comme dans les films, avec les chapeaux carrés qu’on jette en l’air et tout et tout.
Sauf que, allez savoir pourquoi, dans la vraie vie ce n’est pas comme dans Beverly Hills, et pour commencer les chapeaux on les garde sur la tête parce que c’est des locations alors si tout le monde bazarde son galure en carton, adieu caution.
Nous, jeunes graines poussée à l’école de la République, avec moyennes générales, redoublements et récréations ombrées de marronniers, on s’imagine tout de suite une cérémonie qui n’aurait lieu qu’une fois par cursus scolaire, le jour où vaut mieux pas faire une allergie à la fraise des bois ou avoir une poussée d’acné, une remise du baccalauréat avec flonflons, discours la gorge serrée, photos à gogo et joli diplôme, et ben ce n’est pas ça du tout.
Pour commencer, à l’âge du baccalauréat, les étudiants américains ont déjà eu droit à une douzaine de graduations, voire encore davantage puisque certaines maternelles en organisent dès la 1ère année de scolarisation. Et à chaque fois c’est défilé en rang, cape aux couleurs souvent nocives pour les cornées, et chapeau carré. Forcément, quand vient le temps du bac ou des études supérieures, on est un peu blasé et tant pis pour les cheveux gras, de toute façon il y a – encore lui - le chapeau.
En arrivant sur les lieux de la fiesta, et avant d’entrer dans la salle, j’ai été frappée par le bruit qui filtrait de la quinzaine de portes donnant accès à l’arène, on aurait dit Bercy. C’était un peu comme écouter de loin une série interminable de tirs au but menée par des gars très doués qui n’en manquent jamais un seul : un court silence puis une clameur, des applaudissements, parfois quelques « youhou » enthousiastes.
Je suis entrée dans une salle qui aurait pu contenir une assemblée générale de l’ONU, avec l’ensemble des populations concernées. Des milliers de personnes, étudiants en contrebas, au centre, et familles endimanchées dans les gradins tout autour.
Bon, pour ceux qui n’ont pas la télé et ne connaissent pas le principe, c’est assez simple. Les étudiants se rangent par niveau d’études, patientent en rang et défilent un par un sur la grande scène où sont assis une vingtaine de professeurs eux aussi déguisés, pour aller serrer la main de la Doyenne de l’université, la directrice des études, la fine fleur de l’administration donc.
L’étudiant démarre comme un boulet de canon à l’énoncé de son pedigree, traverse l’espace jusqu’aux mains tendues, ne se tourne pas pour faire coucou – j’en ai vu un ou deux le faire mais c’étaient des étudiants étrangers, on leur pardonne – et sort par le côté opposé de l’estrade. Pas de remise de diplôme enroulé avec joli ruban. Pas de jeté de chapeau. Pas le temps de faire un truc rigolo un peu potache, avance on t’a dit.
J’en étais à me dire que ce défilé au pas de charge – 600 étudiants oblige – était finalement assez barbant, quand j’en ai vu un qui sortait du lot.
Il venait de serrer les paluches et se retirait en prenant son temps, forçant celui venant derrière lui à ralentir pour ne pas le collisionner en pleine cérémonie.
La préposée à l’énoncé des noms passant complètement à côté de ce bouleversement du déroulement protocolaire de l’évènement, continuait à scander son alphabet à une cadence de mitraillette et les lauréats commençaient à piétiner pour faire semblant d’avancer et je jubilais. Je le regardais quitter la scène, impassible et sourd au tumulte qu’il entraînait dans son sillage. Il marchait à peine, comme dans ce jeu de cour d’école où il faut faire les pas les plus petits possibles pour ne pas avancer trop vite. Je me disais qu’il devait avoir tellement attendu ce jour qu’il savourait, et qu’il avait bien raison. Je l’admirais de se moquer des quinze secondes de gloire allouées à chacun et de se servir triple ration.
Américanisée comme je suis devenue, je le déclarais même héros du jour quand je le vis, arrivé devant l’escalier qui allait le rendre à sa famille, trébucher puis manquer de tomber avant de se faire escamoter au bord de l’évanouissement par un appariteur qui l’a quasiment porté jusqu’au banc le plus proche. Mon maître zen s’est transformé en étudiant trop émotif, il était tout vert le héros du jour.
Le tempo a pu être rétabli, ce qui a pris de court une mère de famille, debout dans les escaliers à côté de moi et qui attendait d'immortaliser le passage de son chérubin. Suffoquée par l’émotion, s’est mise à trembler, a lâché son appareil, l’a éteint sans faire exprès, s’est trompée de réglage, voulait faire partir le flash mais n’a pas pu – oui, le flash c’est primordial quand on se trouve à une quarantaine de mètres du sujet, vous bossez chez Gama ou quoi ? Quelques secondes de passage et une mère en panique, photos pourries mais c’est pas grave, elle achètera celles du photographe officiel qui mitraille en contre-plongée, du bas de la scène et se spécialise donc dans les clichés triple mentons et fonds de narines.
Ah, mais pourquoi donc étais-je là, à faire rissoler mes sarcasmes dans l’escalier, au lieu de boire du thé glacé dans mon jardin ? J’ai deux bonnes raisons.
La première, c’est que je suis mariée à l’un de ceux qui étaient déguisés sur la scène (celui qui check ses mails caché derrière le programme blanc), et que ça lui faisait plaisir d’avoir quelqu’un à qui montrer son beau costume.
La deuxième, c’est qu’il comptait sur moi pour les photos souvenirs, mais là c’est râpé parce qu’elles sont toutes floues. Pour la raison, j'hésite entre le manque de lumière et l'émotion.
On n'aura qu’à dire que je fais dans l’artistique.
3 commentaires:
Le poids des beaux mots, le flou des photos.
(très intéressant, le reportage)
sympa, ce blog! j'y suis arrivée grâce à Yibus.
J'ai aussi vécu une graduation ceremony, j'en parle (un peu différemment) dans mon blog.
Ton petit chou est vraiment très mim. Le mien a 14 mois.
moi qui pensait que Timothée était en avance pour son age et que c'était pour lui la cérémonie.
déception...
bises
Vincent
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